[Terminé] Retour en Classe ─ Avec Donovan Radko

Le cours de philosophie. Au regard de Kleio, ce cours était inutile, elle n'avait pas envie de fréquenter cette classe et l'un des élèves la rendait mal à l'aise alors elle n'avait qu'une envie et c'était de fuir. C'est ce qu'elle comptait faire lorsque la sonnerie retentit à la fin du cours ; elle bousculait quelques élèves en ayant l'impression d'avoir du mal à respirer et cette impression se changerait rapidement en réalité si elle ne parvenait pas à fuir, mais à l'instant où elle comptait passer le pas de la porte, l'étudiante tourna les talons en s'approchant timidement du bureau du professeur. Kleio tenait ses bouquins serrés contre elle comme un bouclier qui la protégeait des autres. D'abord, elle demeura figée devant lui, muette comme une carpe, terrifiée à l'idée de ce qui pourrait se passer. Cet homme était imposant et paraissait peu affable alors elle ne s'attendait pas à ce qu'il accepte, mais elle tenta tout de même sa chance.

Le dernier élève venait de quitter la classe alors qu'elle s'adressait finalement à lui : « Euh ... bonjour professeur. Je voulais savoir si c'était possible de ... En fait, je voudrais ne plus assister au cours, mais continuer de faire mes devoirs et mes examens. » C'était un compromis qui lui paraissait correct. Dans un établissement tel que Burning Gold, beaucoup de membres du personnel un peu timbrés auraient vite dit oui et seraient partis boire un verre en ville, mais elle faisait affaire avec un tout autre genre de personne. D'ailleurs, elle se recula un peu et baissa la tête en fixant le sol, appuyant la morsure de ses dents contre sa lèvre inférieure. Dès qu'il parlerait elle fermerait les yeux de peur qu'il se mette en rogne, car elle était ce genre d'être humain. Une trouillarde.

77 01/09/2015

Depuis qu’il enseignait ici, il est vrai que Donovan comprenait bien mieux la signification du « Kami-kaze ». Ce « vent divin », il avait l’impression de le ressentir chaque fois qu’il prenait la parole pour demander, à juste titre, un soupçon de réponse de la part de ses auditeurs. La classe, généralement, se mettait dans un état… particulier. On pouvait alors sentir tout ce qu’un professeur peut ailleurs. Un vague mix de « vent de panique » et de « long souffle empli de murmures » emplissait l’air, courant dessus comme Poséidon chevauchant la mer. Alors là, bien sûr, ils parlaient. Ils répondaient. Mais pas à lui. Indirectement, ils donnaient chaque fois tort à cet homme et l’enfonçaient davantage dans sa fatigue pleine d’amertume envers les étudiants.
Dans le fond, ce n’était rien de personnel. Il ne pouvait blâme aucun de ses élèves, quand cela arrivait, puisqu’il ne les interrogeait un à un, mais bien ensemble. L’effet de groupe… ça n’a pas que des vertus. Et une trentaine de regards fuyant ne se transformerait pas en un regard direct et franc. Donovan ne se battait pas en un contre un, ici. Il mettait en déroute toute une flopée de gamins sans avenir. C’était lui le vent divin. Par son souffle, sa respiration et ses mots, il évitait que ses adversaires n’osent bouger le moindre petit doigt. Maigre récompense pour son acharnement à vouloir leur apprendre quelque chose. Au bout du compte, il était plutôt un kamikaze moderne, prêt à mourir pour ses idées et explosant toujours en pleine ascension. Il arrivait rarement au but.
Heureusement pour eux, telle une âme charitable, la sonnerie était toujours une délivrance. Le grand tchèque n’allait pas se faire prier pour les laisser partir. À quoi bon les retenir ? Pourquoi tergiverser et tenter de continuer alors que les mots glissaient sur ces jeunes comme le jeu sur leur foutue carapace ?
Tête baissée, dans le tumulte, l’étranger ramassait ses copies sur le bureau. En réalité, il devait avoir deux feuilles, tout au plus, mais cela ne l’empêcherait pas de mimer une profonde réflexion en donnant de l’ordre. Il devait paraitre occupé pour éviter d’avoir à affronter encore cette troupe de vaincus en déroute. Sinon quoi ? Ce serait considéré comme de l’acharnement de sa part. Il n’allait quand même pas faire des prisonniers ou achever les blessés, si ? Qu’ils fuient, ces lâches.
Inspirant longuement, les yeux clos, il bloqua néanmoins soudainement sa respiration. Une voix féminine arrivait dans sa direction. Une série de mots qui paraissaient désespérément venir à son encontre. Ces imbéciles tentaient-ils le tout pour le tout ? Donovan redressa instinctivement la tête et il lui fallut bien quelques secondes pour identifier l’auteure de cette invective ? Arrêter de venir en cours ? Quelle glorieuse idée, vraiment…

« Je… »

Débuta le professeur sans réellement trouver les mots exprimant sa compréhension de la situation. Dans sa tête, l’ordre se faisait, à la façon dont les unités anti-émeute marchaient sur la foule.
Qu’était-ce donc que cette nouvelle idée ?

« Evidemment, j’imagine aisément le désagrément de venir ici et devoir gâcher une si précieuse jeunesse alors qu’il fait beau dehors… »

Lança t-il calmement, fixant cette nouvelle venue. Et par « nouvelle », il entendait bien le sens premier de ce terme. Qui donc pouvait être cette gamine ? Rebaissant la tête, il commença à fouiller le registre des élèves du doigt, ne parvenant à mettre un nom sur ce visage.

« Est-ce que je peux faire pareil ? Ou non, et si je n’assistais plus aux examens et que nous échangions nos places ? Ca vous irait, mademoiselle ? »

Continua t-il un peu narquois, relevant de nouveau les yeux sur elle. Appuyé sur son bureau, il resta immobile, le temps de voir l’impact qu’auraient ces nouveaux mots sur l’inconnue visiblement pas à sa place.

Il faisait beau dehors ? L'élève n'en avait pas conscience. Elle ne regardait même plus dehors alors pourquoi voudrait-elle quitter la classe pour profiter de sa jeunesse ? Elle ne pouvait pas en vouloir à cet homme de la croire égale à tout ces abrutis qui envahissaient les salles de classes pour souvent en ressortir en courant. Des soirées arrosées, des sorties entre amoureux. Toutes ces choses que les gamins de son âge faisaient ... Kleio n'y participait jamais. Alors, bien sûr, comme il se moquait d'elle en lui proposant d'échanger de place avec elle, la demoiselle baissa la tête en ne sachant évidemment pas quoi répondre. Il est vrai que sa demande était impossible, mais serait-elle blâmée pour avoir tenté sa chance ?

« Je ne veux pas échanger de place avec vous... » débuta-t-elle en mâchant presque ses mots tant c'était difficile de répondre. Il était terrifiant. Enfin, peut-être que c'était juste dans sa tête, peut-être qu'elle le voyait plus terrible qu'il ne l'était, mais elle se devait tout de même de faire tout ce qui était en son pouvoir pour qu'il lui laisse cette chance. « Je sais que les études sont importantes, mais ... » Elle ne savait plus sur quel pied danser. « Je veux dire ... je crois que je serais meilleure si je n'avais pas à me trouver ici ... Les autres ne font que marmonner et c'est impossible de se concentrer... » Elle ne faisait que s'enfoncer. Au final, cette situation la frustrait plus qu'autre chose. Son visage pourtant si délicat se transforma en une expression de mécontentement. Ses yeux de biche se posèrent sur le professeur alors qu'elle faisait un pas vers lui et ramassait une copie qui avait malencontreusement glissé sur le sol. Elle la lui tendit maladroitement et ajouta : « Je veux vraiment réussir mon année scolaire. »

Il s'en foutait peut-être, elle n'en savait rien. À quoi bon lui dire un truc pareil ? Elle aurait bien pu choisir ce moment pour s'éclipser, mais elle s'entêtait. Il fallait qu'elle trouve un moyen. C'était presque comme une mission.

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Au début, Donovan avait pensé qu’il s’agissait simplement d’un petit problème scolaire. D’une élève en situation de difficulté – ou d’échec, peut-être – et qui aurait besoin d’aide, d’une manière ou d’une autre. La demande qu’elle faisait pouvait être interprétée comme un appel au secours. Ou bien s’agissait-il d’un sursaut d’orgueil. Pire que cela, même. En répondant, ne lui confirmait-elle pas que les autres n’étaient là que pour la gêner ? Lui faudrait-il une classe pour elle seule ? Et pourquoi son cours à lui, précisément ? Le grand homme, maintenant redressé, plissait des yeux pour l’observer longuement.

« Je suis tellement désolé… »

Reprit-il d’une voix faussement mielleuse. Contraint de baisser les yeux sur la copie une fraction de seconde, il ne tarda toutefois pas à revenir à cette fille dont il ignorait jusqu’au nom. À moins que ce ne soit… Il vérifia de nouveau son registre, soulevant une feuille, puis une autre, et ne tarda pas à repérer la récurrence des absences. Durant les nombreuses secondes qui s’accumulaient, et qui firent bien une minute, il la laissa patienter pour s’assurer de ne pas se tromper. Puis ses pupilles se posèrent à nouveau sur cette étrange apparition. Du coin de l’œil, il voyait la salle se vider du dernier étudiant. Ne restait qu’elle. Et lui.

« Kleio, n’est-ce pas ? La charmante Kleio Loverdos que je vois pour la première fois et qui vient gentiment m’annoncer une si noble requête… »

Prendre son temps, ménager son effet. Donovan ne savait que trop bien le faire. S’il avait pu fumer en classe, il l’aurait fait et n’aurait pas hésité à savourer son cigare devant. Voire à lui cracher la fumée au visage, pour la provoquer un peu plus et constater sa résistance. Au vu de sa demande, n’était-elle pas bloquée face à lui ? N’avait-elle d’autre solution que d’attendre qu’il se décide ?

« Tous les jeunes gens sont partis, tu vois. Est-ce que c’est à ça que tu aimerais voir ressembler ma salle de cours pour t’y sentir bien ? »

D’un geste ample, écartant les bras, il lui montra l’étendue silencieuse aux nombreuses places libres qui s’étendait devant eux.

« Que veux-tu, dans le fond ? Que je t’offre gracieusement mes heures pour que tu puisses venir seule assister aux cours ? Que je te dispense les polycopiés que tu oublieras chez toi dans je ne sais quel tiroir inusité ? Ou peut-être voudrais-tu autre chose… comme des entretiens particuliers avec moi, que nous discutions philosophie, amour, égoïsme et tout ce qui pourrait naître d’une autre collaboration… »

Poursuivit-il, finissant par quitter le bureau et s’approcher lentement d’elle. Son ton montait légèrement, de même que ses mots se faisaient plus agressifs. Mais tout cela demeurait sous contrôle. Il la fixait et progressait vers elle, pas à pas. Il aurait pu la toucher ou la forcer à reculer. Mais son regard, bien au-dessus du sien, la dominait sans même l’effleurer.

Elle ne le connaissait pas. Il ne la connaissait pas. Est-ce qu'une conversation entre-eux pouvait bien se dérouler dans ces circonstances ? Kleio n'y avait pas tellement réfléchit, elle n'avait pas préparé son discours devant le miroir avant de venir, ce désir était venu spontanément lorsqu'elle avait vu cet élève dans la classe, lorsque toute sa concentration et sa motivation s'était envolée. Il lui dévoila la salle de classe vide et lui demanda si c'était ce dont elle avait besoin pour se sentir bien. L'expression sur le visage de l'étudiante était comparable à de l'agacement. Il ne comprenait que ce qu'il voulait comprendre. Enfin, il fallait dire qu'elle ne détaillait pas tellement ses propos. C'était de sa faute.

Kleio ne répondit rien, refroidie par ses paroles, figée lorsqu'il en vint à se rapprocher d'elle, la surplombant de son regard en lui faisant bien comprendre de sa simple prestance qu'il était toujours la figure d'autorité ici. Il n'avait aucun compte à lui rendre. Kleio devait admettre qu'il avait de l'imagination en terme de suggestions sur ce qu'elle voulait vraiment, mais aucune n'était vraiment la bonne. Elle eut un soupir. Un soupir qu'elle aurait dû ravaler. « Pardonnez-moi professeur. Ma demande était stupide. Je me doute bien que vous avez autre chose à faire que d'offrir des cours privés. » Elle ajouta en examinant le tableau sur lequel les notes étaient encore écrites : « Je suppose que c'est plus facile d'enseigner à des gens qui n'en ont rien à faire. » conclut-elle, serrant ses petits poings, et tournant les talons. Bien entendu, elle comptait quitter sur cette note, car la présence du torse de l'homme devant ses yeux suffisait à la rendre mal à l'aise. Elle pouvait sentir son odeur et son cœur palpitait de peur. Elle y serait parvenue si sa chaussure n'avait pas choisie ce moment pour lui glisser du pied. Tout cela parce que son lacet n'était pas bien attaché. Elle tomba comme une abrutie, s'égratigna le genou et le bras, serrant le membre contre elle en ayant la tête basse.

Sortie ratée.
Bravo, bravo ! Là-dessus elle obtenait 20/20.

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Dans l’attitude de Donovan – comme chez tout être humain normalement constitué – existait inévitablement un égo cherchant à poindre. Selon les individus, cette part du moi est plus ou moins présence et se manifeste avec une efficacité relative. Seulement, chez lui, s’il était question d’un orgueil assez important, la part de raison qui dormait aux côtés du monstre d’arrogance n’était pas à prendre à la légère. Quoi qu’il fasse, s’il tâchait toujours de se satisfaire lui-même et d’obtenir une fierté de ses actes, le grand brun gardait une bonne dose de réflexion et de retenue sous le coude. Sinon, présentement, peut-être aurait-il attrapé cette gamine pour lui faire comprendre physiquement de quel bois il se chauffait, et qu’elle pouvait bien se carrer sa requête où il pensait. Mais plutôt que cela, l’homme s’était contenté de la regarder longuement de haut. D’un air vaguement méprisant, certes, et ce devait être tout le contraire du réconfort pour cette fille aux cheveux roses. Néanmoins, ça n’aurait pas la même portée qu’une leçon autre que moral. Il avait gagné parce que tout était pour lui. Et c’est comme ça que c’aurait du se terminer. Enfin bon.
Selon toute logique, ce n’est pas comme ça que les choses se passèrent. Déjà, parce que Kleio s’en était retournée sans attendre son avis. Ensuite, parce qu’elle avait osé lui lancer une petite pique avant sa débâcle. Et pour finir, exactement pour ça. Une débâcle. Que se passait-il donc dans la tête des filles de cet établissement pour qu’elles soient si vite déstabilisée, et ce sur tous les plans. Etait-ce de sa faute à lui ?
Dans un premier temps, Donovan – qui comptait la rappeler avant qu’elle ne franchisse la porte – ne réagit pas à la chute. Il aurait pu ou du, étant professeur. Mais il n’y avait pas là mort d’homme. Il fit simplement un pas vers elle. Puis deux, trois et plus. Jusqu’à l’atteindre, en fait. Et là, que ce soit une façon normale de faire ou non – puisque, de toute manière, il se moquait des conventions et que les siennes fonctionnaient très bien – l’homme attrapa le bras de l’élève. C’était tout autant pour la retenir que pour l’aider à se relever. Pas le bras blessé, évidemment. Il n’était pas sadique à ce point.

« Attends.

Dit-il, éludant plus ou moins cette chute qui avait encore modifié le cours des évènements.

« Je n’en ai pas fini avec toi. »

Sa main sur le bras frêle de la jeune fille, il continua, attendant de capter son attention comme il convient.

« Puisque tu tiens visiblement à mettre ta théorie à l’épreuve, que dirais-tu que je t’y autorise... »

Il chercha son regard, s’efforçant de penser qu’il ne capitulait pas face à une faible gamine, mais était toujours à la barre.

« … si tu es capable de me prouver que tu en vaux la peine. Que je peux avoir confiance et que nous y gagnons tous les deux, toi et moi. »

Kleio comptait peut-être rester contre le carrelage. Elle pourrait se construire un nid et ne plus répondre à personne. Juste rester là et ne rien faire. Mais même ça elle ne pouvait pas le faire. Il l'aida à se remettre debout, tenant son petit bras avec sa main ferme. Une fois qu'il lui eut parlé alors elle daigna s'intéresser à lui, son regard n'exprimant que le vide. Il était en train d'accepter ? Kleio sentit un certain regain d'énergie l'envahir jusqu'à ce qu'il précise sa pensée d'une façon tout ce qu'il y a de plus directe. Il fallait qu'elle prouve sa valeur à cet homme. Il fallait qu'elle trouve le moyen de gagner sa confiance.

Kleio ne se sentait pas du tout apte à faire une chose pareille. En fait, c'était évident qu'elle ne pourrait pas lui donner ce qu'il voulait. Elle ne le quittait pas des yeux en songeant que cet homme devait faire craquer les écolières. Quelle idiote n'avait pas déjà rêvé de se blottir dans les bras d'une figure d'autorité ? Ce fantasme était vieux comme le monde. Mais pas elle. Elle voyait simplement le visage de la dureté. Il avait vu un monde cruel et s'y était conformé. Du moins, elle le ressentait comme ça. Et ça la faisait grincer des dents. « Je ne sais pas ce que vous attendez de moi. » débuta-t-elle, les lèvres sèches, la gorge nouée. « Je peux faire de mon mieux, mais c'est tout ... et ... » Elle hésita, sur ce point, car la manière d'aborder le sujet pouvait tout changer dans leur entente naissante. « Pour être honnête, je ne suis pas douée en philo. » Mais ça.
Il avait bien dû le remarquer à ses notes précédentes. Kleio était lunatique. Elle avait des difficultés dans tous les cours, mais discuter du sens de la vie et de tout ces trucs c'était trop dur. Elle usait sa sensibilité et ça la rendait folle. L'étudiante parvint finalement à se libérer de la poigne de son professeur. Elle fit un pas en arrière et buta contre le bureau. Kleio s'y appuya en croisant les bras, se demandant s'il n'allait pas abandonner.

...ou lui crier dessus.

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La situation aurait pu s’éterniser ainsi. Donovan, tenant le bras de cette chère petite grecque. Celle-ci demeurant là, attendant que le sort la délivre et dénoue le tout. L’établissement aurait pu continuer sans eux, les laisser dans leur monde, à gérer leurs propres soucis. Mais non. Ce n’est pas comme ça que ça devait tourner. Kleio n’était visiblement pas du genre très sûre d’elle. C’était même tout le contraire. Elle était là uniquement parce que les circonstances l’y avaient trainé. Un seul détail contrariait le grand brun, cependant. Qu’était-elle venue lui demander, si elle n’avait pas même le courage de discuter des conditions ? Espérait-elle un tout ou rien ? Pas de compromis ? Ca ou quoi ? Elle voulait ne plus revenir en cours et puis voilà ? À quoi bon ? Au fond, c’était incompréhensible. Pour Donovan, en tout cas. Il fronçait donc très légèrement les sourcils en l’observant, maintenant qu’elle tâchait de reprendre un semblant d’argumentation. Sans conviction.

« Ah bon ? »

Risqua t-il à la petite remarque de l’étrangère concernant ses résultats. Il est vrai qu’elle n’excellait pas, mais son tempérament jouait beaucoup. L’homme était certain qu’en la confrontant un peu, il pourrait en tirer davantage.

« Eh bien, ce sera le premier point, alors. »

Elle avait reculé subitement et il n’avait manqué de le remarquer. Mais n’ajoutant rien que ce qu’il avait à dire, le professeur croisa les bras pour marcher lentement. En réalité, il commençait à faire les cent pas dans un petit périmètre, juste auprès d’elle. Tournant les yeux dans sa direction, il poursuivit.

« Tu vas faire en sorte d’être digne de ce que tes ancêtres ont laissé à la postérité. Puisque tu es une hellène, tu connais certainement tout de ta culture… »

Sa voix s’évanouit lentement, à mesure qu’il insistait sur cette petite chose là. Sa connaissance. Sa notion de la philosophie grecque antique. Ce pouvait être intéressant de la faire méditer là-dessus – même si au fond, la voyant là, il se doutait qu’elle ne ferait qu’angoisser un peu plus pour ça.

« Et deuxièmement, si tu tiens à éviter les cours dits classiques, tu vas prendre l’habitude de venir me voir et de rester à la fin de chaque heure, pour que je puisse évaluer ton niveau et trouver un rythme qui te conviendrait. Ce, jusqu’à ce que je t’estime prête… ou non. »

Il leva la tête et la regarda de haut cette fille à chevelure mauve. Cela lui convenait-il ? Il demanderait à la fin.

« Et troisième point, pour finir. Tu t’entraineras à me refaire cette demande. À reformuler, à articuler comme il faut, et à trouver un moyen d’obtenir ce que tu veux sans t’apitoyer sur ton sort… ni sur le sol. »

Voilà. Cela lui semblait bien, à lui. En espérant qu’elle avait compris, il vint vers la porte de la sortie et regarda dans le couloir, de chaque côté. Personne à des lieux à la ronde. Il revint alors vers son bureau pour terminer de ranger les feuilles dans sa sacoche.

« Alors ? »

Demanda t-il distraitement, levant les yeux un instant sur l’étudiante.

Kleio réalisait toute l'exigence chez cet homme. Il lui demandait beaucoup. Du moins, pour elle c'était beaucoup. Est-ce qu'elle était prête à remplir toutes ces conditions simplement pour éviter quelqu'un qui lui avait fait vivre un Enfer ? À vrai dire, elle ne se posa même pas la question plus longuement. Pour elle, il était clair que tout était bon si elle évitait de le revoir. Elle sentit ses sourcils bouger, son front se plisser et l'expression sur son visage se transformer en une détermination qui rendait son minois adorable. Elle qui, en général, était presque toujours maquillée d'une moue affligée, venait de réagir comme un être humain. D'ailleurs, plus il parlait, plus elle réalisait qu'elle ne répondait à aucune des conditions qu'il imposait, un peu trop attentive à ses mouvements, elle était en train de se laisser fondre à nouveau dans l'univers parallèle des lunatiques.

C'est seulement lorsqu'il lui fit remarquer qu'elle devrait lui refaire la demande à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'elle parvienne à accumuler assez de courage pour paraître avoir de l'assurance - du moins, c'est comme ça qu'elle interprétait ses mots - qu'elle sortit de ses pensées. C'est pourquoi Kleio finit par hocher la tête de façon positive pour lui signifier qu'elle avait comprit, mais ce réflexe la fit écarquiller les yeux et elle rectifia immédiatement d'un grand : « D'accord ! »
Elle l'avait lancé, ce "d'accord", avec tant d'énergie que bientôt elle se sentait gênée à nouveau, fixant ses chaussures sans trop savoir quoi ajouter. Alors, elle choisit de lui parler de ses origines d'une façon assez conventionnelle : « Croyez-vous qu'un jour je pourrai faire honneur au prénom que je porte ? » Elle marqua une pause et eut un rire très discret. Une brise, pratiquement, tout ce qu'il y a de plus furtive et même étrange. « Je n'ai pas le bagage nécessaire à me comporter comme une muse, mais j'ai toujours ressentit beaucoup d'affection pour l'histoire. » Elle marqua une légère pause et vint se poser juste à côté de son professeur. « La prochaine fois que nous nous verrons je vous montrerai de meilleures notes. » Elle s'inclina comme le faisaient tout ces japonais afin de démontrer leur respect et leur gratitude. Puis, elle tourna les talons, prête à partir, avant de changer d'idée.

Son corps pivota un peu et elle lui jeta un coup d’œil, ses yeux toujours stériles de tout bonheur le fixant très attentivement : « Je me suis trompée. Vous êtes bien plus indulgent que vous en avez l'air. » Peut-être le prendrait-il mal ? À moins qu'il ne s'en formalise pas. Elle ne devait pas être la première à se faire des idées à la jugeote un peu hâtive sur son compte. Bref, son ton était détendu. Elle ne cherchait pas à l'offenser. Kleio était juste naturellement honnête avec les autres bien qu'elle ne le soit jamais avec elle-même.

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En énumérant tout cela, Donovan savait parfaitement qu’il en demandait beaucoup. Mais comme il l’avait dit plus tôt, il voulait que cela profite à tous les deux. Voilà donc ce qu’il faisait. Il profitait. Mais ce n’était pas de l’abus. Loin de là. Elle aurait peut-être droit à quelque chose en échange. Si ce pessimisme l’abandonnait, elle avait ses chances.
Ayant fini de parler, il attendit la réponse et eut droit à un bel enthousiasme qui n’avait plus rien avec la crainte d’avant. C’était autre chose. Sans doute à cause de la lueur d’espoir qu’il lui offrait. Elle pourrait possiblement satisfaire un désir. Ce n’est pas rien. Et puis, peut-être aimerait-elle l’idée de suivre les consignes officieuses de son professeur. C’était une entente presque tacite. Ils n’avaient rien notifié et tout été basé sur la confiance.

Les yeux à nouveau baissés sur ce qu’il rangeait, Donovan croisa son regard et fut légèrement surpris de la voir s’approcher encore de sa personne. Il ne savait que répondre quant à son prénom, mais un vague acquiescement devait suffire. Un mouvement de la tête et une marque d’intérêt. Il l’observa, alors qu’elle parlait et que ses affaires, à lui, étaient dans le sac.

« Je crois en toi. »

Dit-il à cette quasi-inconnue. Dix minutes plus tôt, elle n’était qu’un nom sur une liste. Un visage qu’il découvrait. Une fille au milieu de plein d’étudiants. Et voilà que, pour ne pas qu’elle perde courage et poursuive sur cette voie, il l’encourageait nonchalamment.

« Tu ne m’as pas vu dans mes mauvais jours. »

Répondit-il après une poignée de secondes à sa remarque. Et venant vers la porte, il chercha sa clé dans ses poches. Sacoche à la main, et bientôt trousseau dans l’autre, il attendit que Kleio daigne franchir l’ouverture pour sortir après elle.

« Je te donne cette chance parce que tu es mon étudiante. Tu as droit à cette bonté de la part du professeur qui sommeille en moi, mais tu ferais bien d’en profiter. »

Quittant la pièce, il tourna le dos à l’élève pour fermer la porte à clé.

« J’ai le devoir moral de ne pas briser la jeunesse. Le monde se charge de cela bien assez tôt. Alors, l’homme compatit et l’enseignant te donne les armes. Ou l’inverse. Qu’importe. »

Donovan lui adressa un regard, maintenant que tout était clos et sous contrôle. Ils allaient probablement se séparer là. Il était temps. Il nota juste une dernière chose, en regardant le bras, puis le genou de Kleio.

« Vois déjà combien tu es fragile. Evite d’abîmer ton corps par faiblesse, à l’avenir. Tu verras combien, même fort, il sera mis à l’épreuve. Soigne-toi et n’oublie pas. »

Ce serait tout. Donovan lui adressa un signe de tête. C’était le signal. Leur entente était forgée. Le philosophe et la muse. Mais le profit avant tout.

Croyait-il réellement en elle ? Kleio ne fit qu'effleurer la question de son esprit. Elle préférait bien progresser plutôt que de s'attarder sur ces détails. Bien sûr, une partie d'elle se questionnerait toujours sur les autres, mais cela avait bien plus à voir avec la peur qu'autre chose. Alors qu'il lui faisait remarquer qu'elle ne l'avait pas vu dans ses mauvais jours l'étudiante eut une expression songeuse. Elle se promit de faire de son mieux pour ne pas le croiser dans des circonstances négatives bien qu'au final cela ne dépende pas que d'elle. Elle se passa une main dans les cheveux, car ceux-ci lui chatouillaient le cou, et avança dans le corridor afin de le laisser verrouiller la porte et lui expliquer ce qu'était son devoir en tant qu'enseignant.

Le monde se charge de cela bien assez tôt.
Il ne croyait pas si bien dire.

L'étudiante s'intéressa à ses blessures au moment où son interlocuteur lui parla de son corps et de ses faiblesses. Que tentait-il de lui faire comprendre ? Kleio déglutit avec peine, comme si elle tentait de se convaincre de cette importance, alors que son corps était pour elle bien d'autre chose qu'une arme. Bref, comme il lui envoyait ce « signal » alors la rose se contenta de le regarder, d'abord, en restant figée. Puis, lentement, elle tourna les talons et se mit à marcher de plus en plus vite jusqu'à rejoindre le corridor des dortoirs. Elle devait bien admettre qu'elle était toujours terrifiée.
Mais, en un sens, elle avait l'impression de prendre un chemin hasardeux pourtant plus lumineux que celui qu'elle emprunta ce jour-là. Celui où tout avait changé.